Commémoration
8 Mai 2018, Chambéry : Quelque part entre droit à l'indifférence et droit au souvenir, quelle est la part intime d'une mémoire collective ?


Il y a les officiels qui s’alignent, dignes, le regard composé, la hiérarchie militaire qui agrafe les médailles et les porte-drapeaux qui souffrent sous la chaleur. Et puis la troupe qui remonte la rue sur trois rangées. D’abord on distingue le cortège au loin dans l’axe du boulevard et on entend déjà ses chants, lointains mais déjà graves et puissants. 
Peu à peu la voix collective se rapproche jusqu’à emplir l’espace et faire résonner les poitrines. Quel sens donner encore de nos jours à ces cérémonies ? Et surtout, quel sens donner à ma chronique ? Pour la foule immense des absents qui ignorent les cérémonies commémoratives, le souvenir est effacé, seul reste le jour chômé dont on va jouir. Absents également les antimilitaristes qui dénoncent l’insanité des projets guerriers, leur lien avec la domination et l’asservissement. 
Et les présents ? Croient-ils à l’ordre et à une grandeur de la nation ou à la nécessité de ne jamais se laisser asservir ? Viennent-ils rappeler qu’anciens combattants ils ont été blessés dans leur corps et leur esprit ? Le souvenir est chargé de valeurs, chacun s’en saisit et milite pour ses convictions. 
Mes convictions me disent que la perspective d’une médaille ne rendra jamais attractive une guerre et que je dois réfléchir si on me dit que la patrie est en danger. Mon regard de photographe me dit aussi que la société est un paysage diversifié. Faut-il le rappeler ? La force d'un démocratie ne s'alimente pas d'une mémoire officielle mais grâce à la cohabitation de toutes les mémoires.
​​​​​​​21 Juin, Voilà l’été !
Fin d’après-midi, la masse de la chaleur est traversée par la musique qui se répand partout au coin des rues, sur les places ou devant les bars. Des sons multicolores de tous âges comme les publics qu’ils drainent. Légères, ces quelques notes pincées sur une corde qui s’évaporent dans la nuit. Sensible, cette voix de soliste qui nous surprend et nous émeut. Volubiles, les airs de danse distillés par les estrades qui condensent les foules, les emportent.
Et puis c’est le jour le plus long. Si long que l’effervescence de la ville garde son intensité tard dans la nuit. Une soirée pour la liesse, mesurée ou jusqu’à l’excès, lointaine descendante des fêtes de village peintes dans les tableaux de Brueghel l’Ancien. A chacun ses extases. Le public comme une assemblée nocturne qui se doit d’oublier l’ordre du jour.
Foules chaudes et sentimentales dans lesquelles on oublie d’avoir peur des inconnus. Une autre image me vient alors, liée à mon outil de photographe : l’obscurité oblige à pousser les réglages des prises de vue vers de très hautes sensibilités. Le grain photographique qui apparaît parfois sur les images, vient diluer les formes des visages, comme si le marchand de sable passait sur la ville qui ne veut pas s’endormir. Mais les couleurs demeurent dans la nuit, vives et chantantes dans leurs harmoniques. Cette texture sablée et brouillée des images nocturnes renvoie au pointillisme des tableaux impressionnistes et à leur nonchalance décalée. Vibrations, dilution de la réalité. L’été est-il une saison déraisonnable ?
Le Printemps du Faubourg
2 Juin 2018, Chambéry : La rue du faubourg Montmellian voit se télescoper les époques, les communautés. Elle s'anime d'une nouvelle vie.
C’est samedi, jour de grand beau. On fait sa fête au Faubourg et la Place d’Italie se prend pour une guinguette de bord de Marne. Faut dire qu’aujourd’hui le Passé s’invite dans le Présent. Sur son triporteur solaire Djack Street DJ fait de la retape pour l’expo « Commerces et commerçants du Faubourg Montmélian, d’hier et d’aujourd’hui » Une bien belle expo qui remonte la rue. René en commente les photos une à une car il habite le faubourg avec son épouse depuis 70 ans : « En face, la dame de la mercerie était « costaud », elle vendait des caramels « gagné/perdant » et chez Pernod le charcutier, il plaçait en permanence à l’entrée une tête de cochon qui faisait peur aux enfants. » 
Aujourd’hui, les commerces, ils sont grand ouverts sur la rue et c’est le monde entier qui s’est donné rendez-vous en Savoie. Chacun avec son vivre-ensemble, installé dans un présent qui s’accélère. Pourtant les strates du passé font encore de la résistance, on voit des lézardes, des vieilles peaux de façades mais on ne résiste pas devant cette extraordinaire devanture du numéro 105 qui attend qui, attend quoi : le futur visage de la rue ? 
La question semble n’intéresser aucunement Keops et Fax, les chiens de Pierre le berger : ils sont trop occupés à diriger leur troupeau d’oies dans une improbable transhumance urbaine. Les enfants non plus ne s’en soucient guère : aujourd’hui pour eux, c’est kermesse ! Le lieu de l’enfance c’est bien aussi… le monde entier, n’est-ce pas ? Et puis, chacun sait cela, les enfants vivent dans un éternel présent … avant d’être notre futur. Quelques pas de danse encore dans cette fin d’après-midi ?
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