La ville est puissante, magique
On était averti. Le millénaire changeait et nous attendions une fois encore l'homme nouveau. Nous l'imaginions en citoyen de Platon, neuronal et sans-doute sage, dégagé des servitudes . Or c'est l'espace lui-même qui est devenu neuronal. Une matière inerte maintenant intelligente nous réduit à la condition modeste d'êtres connectés. Virtuellement
Une nouvelle et perpétuelle révolution industrielle, nos dieux sont égarés et pour retrouver du sens, nous sommes condamnés à l'envoûtement. L'homme moderne ne brille que par ses désirs, ne brûle que dans ses envies. Nous sommes devenus des êtres miroirs, tout comme les façades de l'urbanisme dernier cri.
Nos magasins de prêt-à-porter sont nos cavernes d'Ali Baba . Et leur vitrine, notre divine illusion. Comme s'il rencontrait un défilé de mode immobile, le passant des centre villes standardisés croise des mannequins au regard figé qui lui offrent sa propre utopie. Phosphorescence de l'être
Mais ces reflets introduisent aussi des images fantômes sur la surface du verre des ombres se profilent et nous ne distinguons plus le rêve de la réalité. Nous refusons de voir les résurgences de l'archaïsme, des gens de peu deviennent des gens de rien. Cette réalité d'un peuple naufragé habitant les trottoirs par nécessité, nous reste invisible, nous détournons le regard
Dans la grande ville, je regarde et cherche l'homme moderne. Je croise des regards immobiles, figés sur l'infini. Ces regards ne sont pas ceux du futur mais ceux d'une attente. C'est le soir, la nuit apporte ses lumières et encore de nouveaux reflets. Sur les terrasses des brasseries, le public me rappelle ces princes immobiles que sont les mannequins des vitrines. Ce soir la ville est belle.
Jean LAVANCHY, Moderne Utopie 15/11/2015
L'éveil des anges
Traveling. Les gens passaient dans la rue
De temps en temps s'arrêtaient
Pour vénérer les anges si beaux
derrière les reflets bleus d'inaccessibles vitrines
anges au regard lointain si haut si hautain
Anges hermaphrodites parfois anges sans tête
en plastique ou céramique mais toujours en habit d'apparât
Ils ont commencé à sortir la nuit silhouettes fantômes
inaperçues par les caméras de vidéosurveillance
Nous n'avons rien vu venir
Certains se sont attardés, perdus dans le jour
Et tandis que nous faisions nos courses
nous nous sommes accoutumés à leur présence
à mélanger leur reflet avec nos propres visages
comme sur une plaque photographique
doublement exposée
Mannequins si humains nous vous avons fréquentés
nous nous sommes métissés, devenus mutants
Mais vous restiez toujours divins, images paysages
sur les façades vitrées et bleutées de nos tours
C'est pourquoi nous vous vénérions
Mais un jour...
Jean Lavanchy 18-10-2015