Porte des Consuls
A Nîmes, le sable transpire cette mémoire latente des temps où les jeux de mort sacrifiaient de l'humain. Dans les arènes antiques sous la patine des siècles, les pierres massives retiennent encore les clameurs des jeux du cirque. Et la roche insensible irradie la jouissance des uns prise sur la soufrance des autres. Chair et métal, un cri.
          A Nîmes, le sable est trop clair. Dans cette arène sans angle, l'enceinte ovale interdit les refuges. Les déplacements seront circulaires et leurs reflets  dessineront cette danse hypnotique jusqu'au fond des pupilles.  Le sable est trop lisse, surface sans dune trop souvent nettoyée de ses souillures. La mise en abyme se fera en spirale.
          A Nîmes, un sable est devenu autel, devenu étal, sol devenu buvard. Ici la poussière aime le sang. Et le torero en habit de précieux se prend à rêver : ce soir porté par la foule, il traversera la Porte des Consuls sur les épaules de son triomphe. Ici les murailles prétendent ériger des dieux.
          A Nîmes, du sable âcre reçoit la gravité des corps qui s'effondrent dans un sanglot silencieux. Et pour cela, il se métamorphose en la toile d'un tableau sensuel sur lequel chaque détail devient sublime aux aficionados. Trouver des mots sur les désirs c'est élaborer un rafinement. Pour quelle beauté? Art est illusion.
          A Nîmes le soir, lorsque le sable lavé de ses dernières souillures sera enfin muet, une autre fête commencera où se confondront sang et vin. Les foules nocturnes lèveront leur verre aux esprits fous. Le sacrifice annoncé n'a pas eu lieu. Dans les bodegas bruyantes et sombres, encore chargées de la chaleur du jour, on mangera de la gardiane de taureau.
                        Jean Lavanchy, 05-11-2011
Faena danse fatale
La masse sombre de l'animal n'est pas synchrone avec les volutes aériennes du cavalier qui tourne et retourne jusqu'à l'enivrement. Cercles d'une danse de mort rythmée par les cris de l'homme qui claquent comme des détonations. Et ces cris eux-mêmes se bousculent, s'embrouillent jusqu'à devenir le bourdonnement d'un moustique. Banderilles, dards plantés.
Le taureau glisse, son sabot se dérobe sur le sable trop meuble. Il s'agenouille sans implorer mais les cris de l'homme reprennent derrière lui. Il soulève sa lourde chair horizontale et on veut le croire vaillant car on sait l'homme brave.
Alors le matador connaît sa supériorité, tente des prouesses de plus en plus prétentieuses, son égo envahit l'arène. Maintenant, il s'agenouille à son tour, parle à la bête immobile, prise de risque extrême pour entrer dans la légende, le paradis des toreros. Joue avec la mort qu'il doit donner mais ne craint pas de recevoir.
Mais le taureau fatigué perd espoir, comprend le jeu de dupes et la vanité de la lutte. Il voudrait dormir, lâche un meuglement de veau sans que sa mère n'apparaisse. L'épée se cache sous l'étoffe mais brille déjà. Acier ultime. Il faut mourir pour ne pas lasser les aficionados. Son dernier soupir n'est pas une mort au combat mais la fin d'un jeu pour échapper à la fatigue. Le torero devient boucher.
Jean Lavanchy, 05-11-2011
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